Concurrence déloyale et agissements parasitaires...
La concurrence déloyale et les agissements parasitaires : ce qu'il faut retenir
Par Jean-Marie Guilloux, avocat au barreau de paris,
spécialiste en droit de la propriété intellectuelle
Rappel du droit applicable
Il est de jurisprudence constante qu’un acte de concurrence déloyale peut consister dans la création d’un risque de confusion par la reproduction ou l’imitation de la forme même d’un produit non susceptible de protection par une action en contrefaçon.
Le principe posé par la Cour de Cassation était le suivant : « le cumul de l’action en contrefaçon et en concurrence déloyale est recevable, dès lors que l’action en concurrence déloyale se fonde sur des faits distincts de ceux constituant la contrefaçon. ».
La Haute juridiction a procédé à un recadrage important en ce domaine à l’occasion de l’arrêt Bollé en date du 12 juin 2007, comme en atteste le communiqué paru dans le Rapport annuel de la Cour de Cassation.
La Chambre Commerciale énonçait son principe comme suit « attendu […] que l’action en concurrence déloyale peut être intentée par celui qui ne peut se prévaloir d’un droit privatif, qu’il n’importe pas que les faits incriminés soient matériellement les mêmes que ceux allégués au soutien d’une action en contrefaçon rejetée pour défaut de constitution de droit privatif, et que l’originalité d’un produit n’est pas une condition de l’action en concurrence déloyale à raison de sa copie, cette circonstance n’étant que l’un des facteurs possibles d’appréciation d’un risque de confusion. »
Cette formule très claire, reprise à l’identique dans l’arrêt du 10 février 2009, indique expressément que les faits sanctionnés au titre de la concurrence déloyale peuvent être matériellement les mêmes que ceux qui ont été invoqués au soutien d’une action en contrefaçon.
Il est donc possible que le même fait matériel puisse servir tant à la reconnaissance d’un acte de concurrence déloyale qu’à celle d’une contrefaçon, qui elles, sont deux actions bien distinctes.
Rappel des critères jurisprudentiels
Constitue une faute au sens de l’article 1382 du Code civil le fait de s’immiscer dans le sillage d’un autre agent économique afin de tirer profit, sans rien dépenser, de ses efforts et de son savoir-faire.
Le parasitisme est caractérisé par la circonstance selon laquelle une personne, à titre lucratif et de façon injustifiée, s'inspire ou copie une valeur économique d'autrui, individualisée et procurant un avantage concurrentiel, fruit d'un savoir-faire, d'un travail intellectuel et d'investissements.
Ainsi, la jurisprudence récente, après avoir retenu l’existence d’une contrefaçon de droits d’auteur sur un modèle de sandale, condamne le défendeur pour concurrence déloyale, au motif que « si les clientèles sont au moins partiellement différentes, […] en raison de la différence de prix et de qualité, les deux sociétés vendent des produits de même nature » et que « D. s’est placée dans le sillage de S. pour profiter, sans contrepartie financière, de manière parasitaire, de son savoir-faire et notamment de sa créativité esthétique ».
Le fait d’entretenir la confusion dans l’esprit du public sur la provenance des produits ou services commercialisés constitue une faute distincte de la contrefaçon et est sanctionné au titre de la concurrence déloyale.
Or, le fait de commercialiser une gamme de produits, c'est-à-dire une série d'objets de même nature, qui se rapproche par sa composition d'une gamme de produits concurrents, constitue une faute caractérisant un acte de concurrence déloyale.
La jurisprudence sanctionne la reprise de "l'effet de gamme".
La 4ème chambre de la Cour d’Appel de Paris, dans un arrêt en date du 16 janvier 2008, a précisé cette notion en jugeant que « constitue une pratique déloyale, induisant un comportement fautif portant directement préjudice à la société HG EURL, le fait de réaliser un effet de gamme, avéré en l’espèce par la contrefaçon de quatre modèles déclinés pour chacun d’eux dans les mêmes coloris, de nature à créer un risque de confusion dans l’esprit du consommateur moyen de la catégorie des produits concernés, normalement informé et raisonnablement attentif et avisé. »
De même, dans une espèce où la société TEC avait reproduit le dessin de la société GUY DEGRENNE sur diverses pièces d’un service de table, la même juridiction a considéré que « ces faits, qui ne sauraient revêtir un caractère fortuit, sont distincts de la contrefaçon, définie comme la reproduction intégrale ou partielle de l’œuvre sans l’autorisation de l’auteur, et manifestent la volonté de créer un effet de gamme de nature à accentuer le risque de confusion dans l’esprit du consommateur moyen de la catégorie des produits concernés, normalement informé et raisonnablement attentif et avisé, qui peut leur attribuer une origine commune. »
Dans un arrêt en date du 20 février 2008, elle relevait que « l’examen des emballages présentés à la Cour, révèle que les mini poêles litigieuses sont commercialisées dans un conditionnement cartonné reproduisant à l’instar de celui des modèles originaux l’expression « mini poêle » selon la même calligraphie, la représentation de cette mini poêle avec un œuf, les trois modèles de poêles disponibles ( cœur, fleur, étoile) présentés dans le même ordre et la même disposition. Que cette présentation similaire avec le même effet de gamme est de nature à accentuer le risque de confusion dans l’esprit du consommateur normalement informé et raisonnablement avisé, qui peut attribuer aux produits en présence une origine commune, de sorte que, confirmant la décision entreprise, les actes de concurrence déloyale sont caractérisés. »
La confusion dans l’esprit du public est difficilement contestable dans la mesure où le conditionnement est ressemblant. Il a ainsi été jugé par la Cour de cassation dans un arrêt du 17 mars 2004 que « l’adoption par un opérateur économique, pour la mise sur le marché de son produit, d’un conditionnement reprenant l’ensemble des éléments caractéristiques du conditionnement d’un produit concurrent fortement évocateur de ce produit, non nécessaires constitue une faute, même si ce conditionnement n’est pas couvert par un droit privatif ».
La jurisprudence sanctionne l’appropriation des résultats du travail d’autrui
La plus récente jurisprudence estime que l’appropriation sans investissement intellectuel ou matériel - et donc par facilité - des résultats du travail d’un tiers démontre l’existence d’un comportement parasitaire (Cass.1er civ., 22 octobre 2009 – pourvoi n°08-19499 publié au bulletin).
La liberté du commerce n’autorise pas tous les comportements : « considérant que le principe de liberté du commerce et de la concurrence implique que la prestation d’autrui qui n’est pas protégée par des droits de propriété intellectuelle peut être librement reproduite à la condition qu’une telle reprise soit exempte de tout risque de confusion dans l’esprit du public ». CA PARIS Pole 5, chambre 2, RG n°08/10230.
Avis plus tranché de la première chambre du Pole 5 de la Cour d’Appel de Paris dans un arrêt FFT du 14 octobre 2009 : « le parasitisme économique se définit comme l’ensemble des comportements par lesquels un agent économique s’immisce dans le sillage d’un autre afin de tirer profit, sans rien dépenser, de ses efforts et de son savoir faire ; que un tel comportement est fautif sans qu’il soit nécessaire de démonter un risque de confusion ou la recherche d’un avantage concurrentiel au détriment de la victime ; qu’il suffit de caractériser, à la charge du parasite, l’intention de promouvoir sa propre activité commerciale en profitant gratuitement et sans risque du fruit des efforts de tout nature et des investissements d’autrui ».
Les critères à retenir
Dans son Rapport annuel relatif à l’arrêt Bollé, la Cour de Cassation a posé divers critères permettant d’établir l’existence d’actes de concurrence déloyale et notamment :
- l’existence d’un risque de confusion ou d’une captation parasitaire,
- l’ancienneté d’usage de l’objet copié,
- la réalité du public visé et la reconnaissance auprès de ce public,
- le caractère original de l’objet.
La concurrence déloyale a été retenue :
a. à l’égard d’agents économiques n’ayant pas de clientèle commune (CA PARIS 27/09/1996 D.1997, page 234) ;
b. qui se trouvaient à des niveaux différents de la chaîne de distribution (CA Paris 20/02/1992.D.1993 somm.155) ;
c. ou à l’égard d’opérateurs n’ayant pas de clientèle du tout (Cass Com 8/11/1994. D.1995, somm.209).
Plus récemment, la chambre commerciale de la Cour de Cassation a jugé qu’il n’était pas nécessaire de caractériser une situation de concurrence directe ou effective entre deux sociétés pour engager une action en concurrence déloyale (Cass, com 12/02/2008. Dalloz 2008, pan 255).
Jean Marie GUILLOUX
Avocat au Barreau de Paris
Spécialiste en droit de la propriété intellectuelle
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